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SITUATION GEOGRAPHIQUE

Le site du Grand Cul-de-Sac marin (16°19' N 61°35' W) est une vaste baie située entre les deux îles principales de la Guadeloupe et s’étendant de la pointe de la Grande Vigie à la pointe Allègre sur 29 500 ha. Il inclut des îlets (jusqu’aux îlets Kahouanne et Tête-à-l’Anglais), un récif corallien de 39 km, le plus long des petites Antilles, un lagon de faible profondeur (2 à 5 m) de 15 000 ha occupé par de grandes surfaces d’herbiers de phanérogames marines et 5000 ha de zone littorales constituées de mangroves (la plus grande zone de mangrove intacte des petites Antilles), de forêts marécageuses et de marais herbacés.

Carte de la zone Ramsar du Grand Cul-de-Sac Marin ©INPN

Ces différents milieux sont complémentaires et offrent nourriture et abri tout en étant zones de reproduction, de nidification ou de repos tant à la faune marine que terrestre, et 923 espèces animales et végétales y ont été recensées jusqu’à présent.
Le Grand Cul-de-Sac Marin comprend une zone d’estuaires de cours d’eau majoritairement pérennes, essentiellement du côté Basse-Terre, dont la Grande Rivière à Goyave. Celle-ci est le plus important cours d’eau de Guadeloupe avec un bassin versant de 158 km2 pour une longueur de 32 km, drainant le sixième de toute la Basse-Terre. D’une façon générale, le bassin versant du lagon est occupé par la forêt, les cultures, l’élevage et le milieu urbain.

FAUNE ET FLORE

Les différents milieux

Les mangroves sont des forêts tropicales basses implantées dans les vasières des zones de balancement des marées, milieux saumâtres aux sols anaérobies, a priori hostiles à toute forme de vie ; Elles sont dominées ici par les palétuviers rouges (Rhizophora mangle) et leurs racines échasses caractéristiques, en formation monospécifique dans les mangroves de bord de mer. En arrière de cette première ceinture, dans des sols où la salinité peut être multipliée par 2 par rapport à l’eau de mer, les palétuviers rouges devenus plus chétifs sont accompagnés de palétuviers noirs (Avicennia germinans et A. schaueriana) aux racines aériennes surgissant verticalement du sol appelées pneumatophores : c’est la mangrove arbustive. Lorsque le seuil de tolérance des espèces est dépassé, les arbres meurent et un « étang bois-sec » se forme, parfois de façon temporaire. Il en existe un exemple caractéristique sur l’îlet Fajou.

Ilet Fajou ©Conservatoire du Littoral

Quand la salinité du sol diminue, dans les mangroves hautes de transition avec les marais herbacés,  on peut trouver des palétuviers blancs (Laguncularia racemosa), espèce assez ubiquiste reconnaissable aux deux glandes visibles sur ses pétioles foliaires et qui forme parfois des pneumatophores bulbés. Ces palétuviers blancs accompagnent les palétuviers rouges en couvert clair, laissant de l’espace à de nombreux jeunes plants de Rhizophora et à des fougères dorées.

Acrostrichum_aureum

Enfin, le palétuvier gris (Conocarpus erecta) aux inflorescences rondes caractéristiques se rencontre dans les endroits bien drainés, essentiellement aux abords des plages. Tous ces palétuviers sont des espèces protégées.

Ces mangroves sont à la fois un frein à l’érosion côtière, un filtre des apports terrigènes vers le lagon, et une source primordiale de nourriture et d’abri pour une faune variée. La mangrove guadeloupéenne abrite 21 espèces de végétaux.

Le Crabe violoniste – un mélomane de l’ingénierie

Les racines échasses du palétuvier rouge sont colonisées par des communautés d’animaux filtreurs (Annélides, crustacés, éponges, tuniciers, mollusques…), alors que le milieu abrite plus de la moitié des crustacés de l'ensemble de la baie, dont un grand nombre de crabes et de crevettes.

Racine de palétuvier rouge à marée basse ©Wikimedia 2017

Les forêts marécageuses sont très nettement dominées par le mangle médaille (Pterocarpus officinalis), accompagné de nombreuses épiphytes, en particulier des Broméliacées (ananas-bois), et de 7 espèces de lianes. Cet arbre développe des contreforts imposants, pourvus de lenticelles, qui lui permettent de s’ancrer dans des zones inondables à l’abri des marées, sur des sols parfois instables.

Mangles médailles dans une forêt marécageuse ©PRZHT

Les marais herbacés inondables peuvent être saumâtres, souvent à la périphérie des mangroves,  à fougère dorée (Acrostichum aureum) ou à herbe coupante (Cladium mariscus). A proximité des forêts marécageuses se trouvent des marais d’eau douce à Thelypteris interrupta et des prairies humides dans les zones les plus en amont.

Herbe coupante ©Kristian Peters 2006

Les herbiers de phanérogames du lagon forment de véritables prairies sous-marines dominées par l’herbe à tortues (Thalassia testudinum). En mer ouverte, jusqu’à 30m de profondeur, on trouvera plutôt Syringodium filiforme en pelouses clairsemées. Les genres Halodule et Halophila sont également représentés dans les différents herbiers du Grand Cul-de-Sac marin.

Ces herbiers ont une importance écologique irremplaçable, comme abri, en ralentissant localement les courants, ils sont un lieu de nurserie et frayère pour de nombreux poissons, leur croissance rapide en fait une source nutritive de premier ordre, et par la photosynthèse ils assurent également une bonne oxygénation de l’eau de mer. Leurs racines participent à la stabilisation des sédiments.

Herbe à tortues ©James st John 2010

La faune observée dans ces herbiers est extrêmement diversifiée, microfaune à macrofaune, rampante ou nageante, des mollusques comme les lambis (Lambis sp) aux tortues comme la tortue verte (Chelonia mydas). De nombreuses espèces de poissons, en particulier des stades juvéniles, sont présents. Sur les parties les plus hautes au centre du lagon, les herbiers cohabitent avec de riches formations coralliennes, en particulier de porites branchus (Porites furcata).

Une très grande variété d’algues est également présente dans l’ensemble de la baie, ainsi que 29 espèces de gorgones.

 

Les formations coralliennes s’articulent autour du récif barrière entre Sainte Rose et Port-Louis. On distingue la pente interne récifale qui fait le lien avec le lagon, dominée par les Scléractiniaires (Montastrea sp), le platier correspondant à la zone de plus faible profondeur à Porites asteroides et Acropora palmata, le front récifal où déferle la houle et où on retrouve des Scléractiniaires, et la pente externe s’étendant vers les grands fonds océaniques, étagée en populations de coraux adaptées aux différentes profondeurs jusqu’à plus de 30 m et caractérisée dans sa zone supérieure par la présence d’Acropora palmata. La baie abrite 50 espèces de coraux et 60% des espèces de gorgones des Antilles françaises.

Corail corne d'élan Acropora palmata ©Caroline Rogers 2006

Ces formations, en plus d’un rôle écologique prépondérant, jouent également le rôle d’indicateur de qualité écologique de par leur fragilité et leur sensibilité aux conditions physico-chimiques de l’eau. Actuellement, l’état de ces coraux semble se dégrader progressivement.

 

Faune

On dénombre dans la baie 261 espèces de poissons, souvent endémiques des Caraïbes. Ils vivent majoritairement sur les récifs, mais de nombreuses espèces se rencontrent dans au moins 2 biotopes, fréquemment les phases juvéniles sont observées dans les mangroves ou les herbiers alors que les individus adultes sont plus souvent sur les récifs. Ces populations sont dominées par les espèces carnivores. Elles sont globalement en croissance, sauf pour les espèces ayant un intérêt alimentaire qui sont surexploitées. Récemment, l’introduction accidentelle depuis la Floride du poisson lion (Pterois volitans) extrêmement vorace et compétitif dans les Caraïbes pourrait déséquilibrer l’écosystème récifal déjà fragile.

Poisson lion ©T Voekler 2007

Les eaux antillaises sont riches de 5 espèces de tortues marines. La tortue verte (Chelonia mydas) et la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata) sont les plus fréquentes, auxquelles s’ajoutent la tortue luth (Dermochelys coriacea), la tortue caouanne (Caretta caretta) et la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea). La baie offre des sites de nidification importants pour ces espèces, notamment l’îlet Fajou et la plage de Cluny pour la tortue imbriquée, l’îlet Kaouhanne et la plage du Souffleur pour la tortue luth.

Tortue verte ©Bernard Gagnon 2006

L’îlet Kahouanne et l’îlet Tête à l’Anglais hébergent également une espèce d’anoli endémique (Anoli kahouannensis).

C’est la richesse de l’avifaune sédentaire ou migratrice qui donne à la baie du Grand Cul-de-Sac Marin une importance internationale en tant que zone humide. Oiseaux de mer, oiseaux d’eaux littorales ou oiseaux terrestres, ce sont une centaine d’espèces qui peuplent les différents milieux, profitant des îlets (sternes) ou s’abritant dans les mangroves (hérons).

Parmi ces espèces se trouvent des taxons endémiques comme le pic de Guadeloupe (Melanerpes herminieri), la paruline caféiette (Dendroica plumbea) et le râle gris (Rallus longirostris manglecola). Le faucon pèlerin (Falco peregrinus anatum) est classé en annexe I de la convention de Washington (CITES, l’annexe I correspond aux espèces dont le commerce est interdit). La petite sterne (Sterna antillarum), endémique de la Caraïbe, a fait des îlets sableux de la baie ses principaux sites de nidification.

Paruline caféiette ©John C Mittermeier 2009

Parmi les mammifères, le lamantin (Trichechus manatus), animal emblématique patrimonial disparu des eaux guadeloupéennes au fil de la colonisation européenne, connaît actuellement un projet de réintroduction dans la baie, site qui lui serait favorable à conditions de réguler efficacement les activités humaines.

Parallèlement au déclin du lamantin, le rat noir (Rattus rattus) a prospéré sur l’île depuis sont introduction avec la colonisation au XVIIe siècle, avant d’être concurrencé par le rat d’égout (Rattus norvegicus) depuis la fin du XVIIIe. La mangouste (Herpestes jarvanicus auropunctatus) a été introduite volontairement en 1888 et se trouve actuellement jusque dans les mangroves. La pression de prédation exercée par ces espèces allochtones sur l’herpétofaune et l’avifaune est très importante et a pu mener à la disparition et la raréfaction de plusieurs espèces .

Mangouste ©Carla Kishinami 2009

Le  Grand Cul-de-Sac Marin et en particulier les forêts marécageuses abritent potentiellement 8 espèces de Chiroptères dont l’endémique Eptesicus guadeloupensis, et le rarissime chiroderme de la Guadeloupe (Chiroderma improvisum), et le raton laveur (Procyon minor).

La faune entomologique est assez limitée, notons tout de même la présence de plus de 16 espèces d’odonates, dont la libellule des salines (Erythrodiplax berenice), seule libellule dont la larve peut se développer dans l’eau de mer, et d'un grand nombre de papillons dont le mangrove (Junonia genoveva) dont la plante hôte est le palétuvier noir.

Libellule des salines ©Judy Gallagher 2011

 

 

HISTOIRE

Le Grand Cul-de-Sac Marin est un site historique et culturel majeur pour l’archipel de la Guadeloupe : il a été fréquenté très tôt par les populations précolombiennes, a vu la première implantation française à la Pointe Allègre, ce sera jusqu’au XVIIe siècle un pôle économique majeur. Par la suite, avec le développement démographique et la révolution industrielle, les marais et mangroves seront vus comme des espaces sans intérêt et insalubres, puis comblés pour y développer zones urbaines, agricoles et industrielles.

Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que les activités touristiques renouvelleront l’attrait pour les trésors naturels de la baie.

Ilet face à Ste Rose ©Conservatoire du Littoral

 

 

ENJEUX ET MENACES

 

La baie constitue une entité fonctionnelle intégrée au sein d’une zone humide fragilisée. La dégradation générale des zones humides (à l’échelle nationale comme mondiale) et l’évaluation du patrimoine biologique de la baie du Grand Cul-de-Sac Marin nous permet de dégager des enjeux prioritaires :

  • encourager un développement respectueux de la nature et de la culture locale ;
  • restaurer des habitats naturels tributaires de la dynamique littorale et influencé par les activités humaines ;
  • protéger les milieux naturels et les espèces d’importance nationale et internationale.
Ilet face à Ste rose ©Conservatoire du Littoral

Les menaces principales sont liées à une démographie forte dans les parties terrestres, avec plus de 200 000 habitants dans le bassin versant et plus de 50 % de la surface du sol utilisés pour la culture de la canne à sucre et l'urbanisation, avec une destruction du milieu et en particulier de la mangrove, un tourisme pas toujours maîtrisé, et une surexploitation des ressources accentuée par le braconnage. Les sources de pollutions sont les eaux usées urbaines insuffisamment traitées, des pratiques agricoles responsables du ruissellement de quantités importantes de produits phytosanitaires, une zone industrielle de Jarry source de contaminations par des métaux lourds, tout comme la très importante décharge d'ordures ménagères de la Gabarre, sans oublier les nombreuses décharges illégales…

Zone industrielle de Jarry ©Olivier Laroche 2011

Il faut cependant signaler la prise en compte de plus en plus importante de ces problèmes dans les politiques régionales et départementales.

Une autre menace plus insidieuse est le changement climatique global dont on ne peut pas encore appréhender l’ampleur des effets sur les différentes biocénoses de la baie.

 

 

PROTECTION

Le Grand Cul-de-Sac Marin est protégé par 5 dispositifs se superposant plus ou moins :

  • La Réserve naturelle du Grand Cul-de-Sac Marin est créée en novembre 1987, c’est une mosaïque d’écosystèmes littoraux propriétés de l’état, au sein desquelles les activités sont règlementées. Elle sera ensuite intégrée au Parc National.
  • Le Parc National de Guadeloupe, avec son pôle forestier et son pôle maritime, a été créé en février 1989, il est géré par un établissement public.
  • L’UNESCO a intégré la Réserve de Biosphère de l’Archipel de Guadeloupe, comprenant la baie et la forêt tropicale humide du massif de la Soufrière, à son programme MAB (Man And Biosphère) en 1992.
  • La convention Ramsar a classé le site en 1993 comme Zone Humide d’importance internationale pour les oiseaux d’eau.
  • Le Conservatoire du Littoral, installé en Guadeloupe depuis 2001, a la responsabilité de la zone des 50 pas géométriques qui lui ont été affectés et de ses acquisitions.

 

Pour l’essentiel, le Grand Cul-de-Sac marin appartient au domaine public, sauf pour quelques rares propriétés privées. Sa gestion a été confiée au Parc National de Guadeloupe.

De plus, un arrêté préfectoral interdit l’accès à certains îlets pendant la période de nidification des sternes, du 1er mai au 31 août.

Plusieurs organismes de recherche (Ifrecor, Université des Antilles et de Guyane) prennent part à l’amélioration des connaissances et au suivi de la baie, des équipements d’éducation et de sensibilisation sont mis en place (parcours de découverte de la mangrove à Port-Louis, maison de la mangrove Taonaba aux Abymes), l’écotourisme est valorisé.

 

 

VISITER LE SITE

De nombreuses activités, randonnées, plongée, kayak, permettent de découvrir les richesses de la baie.

Parc national de la Guadeloupe

Habitation Beausoleil Montéran

97120 SAINT-CLAUDE

Tél : 33 (0)5 90 80 86 00

SOURCES

Buttifant, A., Mège, S., Marie, A., Delloue, X., & Vincent, C. (2008). Plan de Gestion de la Réserve Naturelle du Grand Cul-de-Sac Marin - Guadeloupe – 2009-2013. Réserve de Biosphère de l’Archipel de Guadeloupe, 1-418.

Transler, A. L., Saffache, P., & Moullet, D. (2007). Vers une prise de conscience de la dégradation des écosystèmes marins guadeloupéens. Études caribéennes, (6).

Cadamuro, L. (1999). Structure et Dynamique des écosystèmes inondables (forêt marécageuse, mangrove) du bassin du Sinnamary (Guyane Française) (Doctoral dissertation, Université Paul Sabatier-Toulouse III).