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Les mangroves à travers le temps

Après une évaluation des surfaces de mangroves en 2020, le Comité français de l’UICN et le Pôle relais zones humides tropicales (PRZHT) via le Réseau d’Observation des Mangroves (ROM) se sont intéressés à l’évolution des surfaces de mangrove depuis les années 1950 dans les territoires d’outre-mer français. Ce projet, engagé en 2021 et soutenu par le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, a permis de mieux comprendre l’évolution des surfaces de mangrove et apporte ainsi des éléments de réflexion sur nos relations passées avec cet écosystème si singulier.

En ce 26 juillet 2022, à l’occasion de la Journée Internationale des Mangroves, le Pôle relais propose une synthèse des principaux résultats de cette étude : quelle était la surface des mangroves dans les années 1950 dans les Antilles ? Comment ont évolué les mangroves isolées de Wallis depuis 20 ans ? A quel rythme se répandent les mangroves en Polynésie française ? A toutes ces questions, le géographe/cartographe Florent Taureau, en charge de la réalisation de l’étude, apporte des premiers éléments de réponse.

Des photographies aériennes « historiques »

Les mangroves forment un écosystème de plus en plus menacé par diverses pressions d’origine anthropique ou naturelle (artificialisation des sols, changements climatiques globaux ou locaux, aléas climatiques majeurs, pollution, etc.). En conséquence, plusieurs études ont déjà pu montrer la tendance négative dans l’évolution des surfaces des mangroves à l’échelle mondiale depuis plusieurs décennies. 

En France, hormis quelques études diachroniques ponctuelles notamment en Martinique, en Guyane et plus récemment à Mayotte et à Moorea, l’analyse de l’évolution de ces surfaces n’a jamais été produite sur les autres territoires.

Jusqu’à présent, le principal obstacle à la réalisation d’étude diachronique relevait de la complexité d’accessibilité et du traitement des données anciennes. En effet, les images aériennes acquises par avion dans les années 1950 sont très difficiles à exploiter. Toutefois, l’IGN a mené une campagne d’harmonisation d’un produit appelé BD-ortho historique® qui permet d’accéder facilement et rapidement à un grand nombre d’images déjà traitées et corrigées. Véritable opportunité pour le suivi des mangroves, ce sont ces images qui ont été utilisées pour Wallis, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, la Martinique et enfin Mayotte 1.

Concernant la Polynésie française, c’est la Section Cadastre – Topographie de la Direction des Affaires Foncières (DAF) de la Polynésie française qui a mis à disposition gracieusement ses archives numériques de photographies aériennes anciennes.

Ces données ont ensuite été photo-interprétées : l’opérateur dessine dans un logiciel adapté les surfaces qu’il interprète comme surfaces de mangrove en 1950. 

1. Le cas de la Guyane est particulier. La taille des mangroves et leur rythme d’évolution extrêmement soutenu ne rendent pas pertinent l’utilisation seules d’orthophotographies historiques. En effet, les quelques dates disponibles en survol aérien seraient insuffisantes pour comprendre la dynamique des mangroves guyanaises. Par ailleurs une étude basée sur l’exploitation d’images satellites avec une fréquence plus élevée a déjà été produite : FROMARD, F, VEGA, C et PROISY, C, 2004. Half a century of dynamic coastal change affecting mangrove shorelines of French Guiana. A case study based on remote sensing data analyses and field surveys. Marine Geology. août 2004. Vol. 208, n° 24, pp. 265280. DOI 10.1016/j.margeo.2004.04.018. 

Evolution des mangroves aux Antilles : des résultats « surprenants » pour la Guadeloupe, mais pessimistes pour les îles du nord

Les résultats de cette étude montrent que les mangroves dans les Antilles ont connu d’importants changements au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. Mais alors que l’on pouvait s’attendre à une diminution drastique des surfaces due au développement des infrastructures portuaires et à l’artificialisation des littoraux, ce qui est bien le cas pour les îles du Nord, les résultats en Guadeloupe se sont avérés plus nuancés. En effet, les surfaces de mangroves y ont connu une augmentation de 18.8 % depuis 1950, passant alors de 2 782 ha en 1950 à 3 306 hectares en 2020.

Carte 1-Mangrove de la Rivière salée

Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi la surface de mangrove guadeloupéenne a augmenté. La principale revient à la fermeture progressive des marais saumâtres et à leur comblement par la mangrove. En effet, de vastes étendues de marais ouverts herbacés situées notamment au Nord de Grande Terre ont été par endroit complètement colonisées par la mangrove. Ces marais seraient d’origine anthropique et servaient autrefois de zones de pâturage. Cette activité étant aujourd’hui perdue, ces étendues artificielles ne sont alors plus entretenues et la nature reprend finalement ses droits. La mangrove s’est également développée côté mer, son front pionnier à Rhizophora mangle ayant progressé de plusieurs mètres. C’est ainsi au total presque 1 000 ha de mangrove en plus qui se sont développés.

Carte 2-Mangrove de la pointe d’Antigues au nord de Port-Louis

Néanmoins, ce bilan positif ne doit pas masquer les destructions qui ont eu lieu par le passé. En même temps que la mangrove se développait sur certains endroits, ailleurs c’est presque 500 ha qui ont été détruits de manière éparpillée sur l’ensemble de l’archipel. 

Tableau 2-Evolution des surfaces des trois écosystèmes en Guadeloupe entre 1950 et 2020

Dans la zone de Jarry par exemple, l’étude montre que 57 % des surfaces de mangroves ont été détruites passant de 85 ha en 1950 à 36 ha actuellement. Certaines zones ont été plus fortement impactées comme la marina de Bas-du-Fort où environ 30 ha de mangroves ont été remblayées, voire complètement détruites, comme à la Marina de Saint-François où se trouvaient autrefois 7 ha de mangroves dont il ne reste aujourd’hui plus aucune trace.

Carte 3-Mangrove de Bas-du-Fort

Ces destructions sont également très fréquentes dans les îles du Nord où les mangroves ont perdu respectivement 40 % et 65 % de leur superficie de 1950 à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Dans ces territoires, le principal facteur à l’origine de cette évolution est l’artificialisation du littoral, et notamment l’urbanisation. 

Alors qu’en 1950 Saint-Martin abritait un peu plus de 40 ha de mangroves, aujourd’hui il n’en reste que 24,2 ha. Quant à Saint-Barthélemy, en 1954 l’île abritait presque 12 ha contre seulement 4,1 ha aujourd’hui. Par ailleurs, alors que ces mangroves ont largement été détruites par les activités humaines, elles restent également menacées par des évènements climatiques extrêmes comme a pu le démontrer le dernier ouragan Irma de 2017.

Evolution des mangroves dans le Pacifique : des perspectives positives à Wallis, mais un risque d’invasion en Polynésie française

Dans les territoires isolés du Pacifique, la situation des mangroves est singulière. Alors qu’à Wallis les palétuviers sont naturellement présents, en Polynésie française le palétuvier Rhizophora stylosa y a été introduit dans les années 1930 à Moorea (archipel des îles de la Société) et présente aujourd’hui un potentiel d’espèce exotique envahissante (EEE).

 

L’invasion des littoraux par la mangrove ? Les cas particuliers de la Polynésie et d’Hawaï

La Polynésie française partage une singularité avec l’archipel d’Hawaï : les mangroves y sont envahissantes. Situés hors de leur zone de répartition naturelle, les palétuviers qui ont été introduits dans ces deux archipels, se sont par la suite naturalisés et présentent maintenant un caractère envahissant. Alors qu’à Hawaï des campagnes d’arrachage de palétuviers sont menées, en Polynésie la situation semble moins préoccupante. En effet, les surfaces de mangroves de Polynésie ont augmenté de « seulement » 40 hectares en 90 ans, par ailleurs les conséquences écologiques de l’arrachage de massifs de mangroves sont encore méconnues notamment en ce qui concerne les impacts sur les récifs frangeants localisés à proximité.

Carte 1-Répartition des mangroves dans le bassin pacifique

A Wallis, deux espèces de palétuviers peuvent être rencontrées : le Rhizophora samoensis et le Bruguiera gymnorhiza. Ces deux espèces peuvent parfois se mélanger formant alors des peuplements mixtes. L’évolution des surfaces, toute formation confondue, fait apparaitre une augmentation de 18 % passant de 31 ha en 2004 à 36,6 ha en 2020. Cette augmentation est notamment due à une protection renforcée par des lois dîtes coutumières et aussi par un projet de restauration qui a eu lieu en 2017-2018 au Sud de l’île mené par le Service Territorial de l’Environnement (STE). 

Quant à la Polynésie française, l’espèce introduite de Rhizophora s’est maintenant répandue dans 5 îles : Tahiti, Huahine, Raiatea, Tahaa et Bora Bora. Alors qu’en 1955 l’ensemble des mangroves de Polynésie occupait moins de 3 ha, en 2019 c’est plus de 40 ha de mangroves qui ont été inventoriées. Plus surprenant encore, ce n’est pas à Moorea, lieu d’introduction originel du palétuvier, que l’on trouve le plus de mangrove, mais à Huahine, une île voisine située à plus de 155 km de Moorea, où l’on peut trouver environ 12 ha de mangroves.

Figure 1-Evolution de la surface de mangrove dans les îles de la Société depuis 1955

Cette analyse diachronique montre une accélération de la croissance des surfaces de mangrove depuis le début des années 2000. Huahine, Raiatea et Tahaa sont incontestablement les îles où les surfaces de mangroves sont en train de progresser le plus rapidement. Des cartes dynamiques peuvent permettre de visualiser ce résultat.

Carte 4-Evolution de l’implantation du Rhizophora stylosa à Huahine depuis 1955

Quelles perspectives pour le projet ?

Cette étude diachronique apporte donc de nouveaux éléments sur notre compréhension de l’évolution des surfaces de mangroves depuis 1950 en France. Elle sera par ailleurs complétée prochainement avec de nouveaux résultats portant sur les territoires de Martinique et Mayotte. Cela devrait permettre, in fine, d’avoir une vision globale du paysage de la mangrove française dans les années 1950 sur les territoires insulaires ultramarins. 

Un rapport sera également mis à disposition sur le site du pôle relais, et présentera en détails la méthode utilisée et ses limites ainsi que les résultats pour chaque territoire. Les couches d’informations géographiques seront également mises à disposition gratuitement sur le site du pôle relais.

De nouveaux financements pourraient permettre d’envisager une seconde phase pour ce projet et permettraient d’obtenir de nouvelles informations. D’autres dates pourraient être ainsi envisagées : une cartographie dans les années 1980 notamment, au moment de l’essor industriel dans les Antilles, offrirait de nouveaux éléments de réflexion sur le rythme d’évolution des mangroves et sur les facteurs liés à cette évolution. Un premier jeu de données datant de 1984 a déjà été acquis sur la Guadeloupe et est encore en cours de traitement. Malheureusement ces données ne sont pas intégrées dans le produit BD Ortho historique®, et leur acquisition et diffusion sont donc toujours limitées. Par ailleurs d’autres partenaires pourraient rejoindre le projet et mettre à disposition des données aujourd’hui non diffusées, c’est le cas par exemple de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis pour lesquels un travail préliminaire de production d’un jeu de données orthophotographique historique serait nécessaire.

 


Billet de blog rédigé par Florent TAUREAU