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Installer une mare dans son jardin : un acte militant

Un article de Reporterre, le quotidien de l’écologie – Frédéric Proniewski – 03/06/2022

L’eau, c’est la vie ! Cette expression est devenue un lieu commun. Pourtant, peu d’entre nous en connaissent toute la portée. Les astrophysiciens ne cessent de traquer l’eau dans tout l’univers comme un préalable à l’hypothèse d’une vie extraterrestre. Qui a conscience que toutes les formes de vie que nous connaissons ont été élaborées et testées dans l’eau des océans ? Il y a environ 500 millions d’années, ces animaux, végétaux et autres champignons sont sortis du milieu aquatique et ont colonisé les terres émergées, emportant avec eux les organes nécessaires au captage et à la conservation de l’eau indispensable à leur métabolisme : ainsi les végétaux ont développé des systèmes racinaires qui, en symbiose avec des champignons mycorhiziens, leur permettent de puiser l’eau dans les sols.

Il n’est donc pas étonnant que l’eau exerce une attraction si puissante sur le vivant. Dans mon enfance, j’ai été fasciné par la capacité de la moindre flaque à se peupler d’une vie grouillante de petits organismes que mes yeux encore neufs me permettaient de distinguer. J’appris quelques années plus tard, grâce à un microscope, que j’observais copépodesdaphnies, larves de moustiques et autres bestioles aquatiques. De ces longues heures de jeux et de contemplation de cette faune des mares, je garde un souvenir impérissable d’émerveillement. Depuis, la fréquentation des bords de l’eau est pour moi une grande source de sérénité, à tel point que, de toute ma vie, je ne me suis jamais éloigné de l’eau. J’ai choisi comme orientation professionnelle la biologie des milieux aquatiques, que j’ai eu le bonheur d’approfondir dans un laboratoire d’études et d’analyse de l’environnement.

Une petite étendue d’eau essentielle pour la biodiversité

Pour prolonger le contact avec ces eaux vivantes, bénéficier de cette proximité et des multiples fonctions de ces biotopes, il existe un moyen : créer une mare. En fonction de la place disponible, jardin, terrasse ou même balcon (dans un contenant étanche d’une capacité minimale de quelques dizaines de litres), à la campagne ou en ville, il est possible de créer ce point d’eau qui pourra constituer une oasis de biodiversité. L’entreprise est à la portée de tout un chacun. À défaut de disposer d’une terre argileuse et particulièrement étanche, une bâche, une bêche et quelques outils feront l’affaire. Et pour un budget inférieur à 2 000 euros, il ne vous manquera pas grand-chose… Ah si, votre énergie ou celle d’une pelleteuse pour creuser le trou.

Dans un jardin, cette petite étendue d’eau dormante, peu profonde, est un élément structurant qui joue un rôle majeur pour la biodiversité et le microclimat du site. Elle va servir d’habitat, de zone de reproduction et d’alimentation à une foultitude d’insectes, vers, mollusques, batraciens, poissons et oiseaux. Au plus fort de l’été, le ballet incessant des insectes et des oiseaux dans les zones peu profondes du plan d’eau en souligne le rôle important. Grenouilles et crapauds, merveilleux auxiliaires des jardins, y trouveront un lieu idéal pour leur reproduction. J’ai pu apercevoir ainsi un martin-pêcheur, perché sur une souche en bordure de mon plan d’eau, déguster un triton qu’il venait d’attraper. Cette masse d’eau constituera aussi une réserve d’humidité au bénéfice de la végétation environnante, au gré des cycles d’évaporation et de condensation. De même, en hiver, la surface de la mare peut réfléchir les rayons du soleil au bénéfice des arbres et des végétaux qui bordent ses rives nord.

Il y a mille raisons d’installer une mare dans son jardin. Pour ma part, la motivation principale a été de renouer avec les émotions ressenties durant l’enfance, pendant les longues heures de découverte des milieux aquatiques. Comme la promenade en forêt, le contact avec la vie foisonnante d’une mare ou d’un étang m’apporte cette sensation forte de faire partie de la nature, d’être nourri de son énergie. Ma seconde motivation est bien sûr de renforcer la biodiversité et donc la résilience de mon jardin grâce aux multiples interactions entre le verger, le potager et la mare intimement associés. Outre l’utilisation de l’eau pour l’arrosage, ou en cas d’incendie (si le volume de la mare est suffisamment important), la récupération de plantes et de sédiments lors des opérations d’entretien constitue, après compostage, une source de biomasse intéressante pour la fertilité du potager. On pourra aussi y cultiver des plantes alimentaires, comme les châtaignes d’eau, ou des plantes décoratives pour la confection de bouquets. D’autres, encore, viseront la réalisation d’une baignade naturelle pour évoluer dans ce milieu qui procure une sensation intense de communion avec la nature.

Je n’oublie pas le pouvoir attractif et les vertus pédagogiques qu’une mare représente pour les enfants, et bien souvent les adultes, d’autant plus quand sa découverte est accompagnée par un observateur averti. Il ne se passe pas un instant sans que le plan d’eau s’anime. Ainsi les gyrins, dans leurs incessantes circonvolutions à la surface de l’eau, les notonectes, qui plongent vers le fond à grands coups de rames, les gerris et les hydromètres, glissant sur l’eau comme d’habiles patineurs et sautant sur tout ce qui bouge. Ou les libellules qui, en chasse d’une proie ou d’un partenaire, livrent avec leur vol acrobatique des chorégraphies aériennes. Il y a toujours à voir et à contempler auprès d’une mare.

Pour créer sa mare, une bâche, une bêche et quelques outils font l’affaire

Vous l’aurez compris, l’intérêt écologique d’une mare est multiple. Il concerne aussi bien l’équilibre des écosystèmes naturels que l’équilibre des êtres humains. En multipliant ces oasis aquatiques, nous luttons efficacement pour atténuer les désordres climatiques et nous installons les conditions nécessaires à l’aggradation des espaces malmenés par les activités humaines. Installer une mare dans son jardin est en ce sens un acte militant, à même de compenser quelque peu l’importante disparition des mares durant ces dernières décennies — 90 % d’entre elles auraient disparu avec l’arrivée de l’eau courante dans les maisons. Enfin, et ce n’est pas le moins important, nous restaurons et revivifions ainsi le lien qui nous unit à la nature. Pour nombre d’entre nous, rien n’est plus ressourçant, apaisant et propice à la méditation que la fréquentation d’une mare vivante. Bienheureux ceux qui disposent d’un tel endroit dans leur environnement proche ou à portée de promenade. Ne loupez pas la Fête des mares du 28 mai au 5 juin, c’est l’occasion d’échanger sur le sujet et de poser les jalons de votre future oasis !

 

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