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A la découverte … du laboratoire « Ecologie fonctionnelle et environnement » (EcoLab)

A la découverte … du laboratoire « Ecologie fonctionnelle et environnement » (EcoLab), où un groupe de chercheurs étudie les mangroves …

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

« Nous sommes un groupe composé de chercheurs, ingénieurs et étudiants appartenant au CNRS et à l’université de Toulouse. Nous sommes rattachés à l’unité mixte de recherche EcoLab et nous collaborons avec des équipes extérieures appartenant à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), diverses universités françaises et étrangères, le Muséum National d’histoire Naturelle, et parfois des bureaux d’études ou collectivités territoriales.

Nous étudions les mangroves depuis plus de 25 ans ... au fil des années et aux grès des programmes de recherche nous avons été amenés à travailler dans de nombreuses régions tropicales (Afrique de l’ouest, Amérique du Sud, Inde, Asie du Sud-Est, Madagascar, etc.) ainsi que dans la plupart des mangroves de l’outre-mer français (Iles éparses, Mayotte, Guadeloupe, Guyane, Martinique, Saint Martin).

A EcoLab, nous sommes plutôt spécialisés dans l’étude de la végétation des mangroves (biodiversité, architecture, croissance, régénération, fonctionnement, etc.) in situ mais aussi en utilisant des outils de télédétection (imagerie satellite et aérienne, GPS) et de traitement des données (systèmes d’information géographique, cartographie, etc.). EcoLab étant un laboratoire assez important (une centaine de permanents), nous avons aussi des collègues microbiologistes et biogéochimistes qui participent à certains projets sur les mangroves.

Parmi les grandes questions scientifiques qui nous préoccupent actuellement, il y a l’impact de la crise climatique et de l’érosion de la biodiversité sur le fonctionnement des mangroves ainsi que le cycle de la matière organique et le rôle que les mangroves peuvent jouer comme puits de ‘carbone bleu’. »

Vue aérienne de l'Etang aux Poissons. Source : Julien Chalifour, Reserve Naturelle Nationale de Saint Martin

Vous avez publié récemment un article dans lequel vous vous intéressez aux dommages occasionnés par le cyclone Irma sur les mangroves de Saint-Martin, pouvez-vous décrire le contexte dans lequel vous avez mené cette étude ?

 

« Tout a commencé par une collaboration avec le bureau d’étude Impact Mer en 2010-2011. On nous avait demandé de venir expertiser les mangroves de Saint Martin dans le but de réaliser un suivi en vue de la mise en œuvre possible de rejets de STEP. En collaboration avec la Réserve Naturelle Nationale de Saint Martin nous avions ainsi parcouru toutes les mangroves de la partie française de l’île. Le travail consistait à décrire la structure de la végétation (couverture spatiale, densités de troncs à l’hectare, hauteurs et diamètres des troncs,  présence de fleurs et de fruits, etc.) ainsi que l’état sanitaire des peuplements (vivants, morts, dépérissants).

En fin 2017, Irma frappe l’île de Saint Martin avec les dégâts humains et matériels que l’on connait tous. Cet évènement dramatique attire notre attention quelques semaines plus tard sur l’impact occasionné sur les mangroves de l’île. Mélanie Herteman - une ancienne doctorante du laboratoire EcoLab, aujourd’hui responsable du bureau d’étude Nature et Développement en Martinique – est retournée sur l’île quelques semaines après Irma, mandatée par le Conservatoire du Littoral, afin de réaliser un diagnostic écologique post-cyclone dans lequel elle a effectuée de nouveaux inventaires de la mangrove et de son état sanitaire.

C’est ainsi que nous avons pu réaliser une étude écologique avant-après Irma. Les données d’inventaire in situ ont été analysées en parallèle avec des archives d’images satellites. »

Quelle a été l’hypothèse de départ et quel a été le protocole mis en place sur le terrain ?

Les mangroves de l'Etang Barrière. Photo Mélanie Herteman.
Les mangroves de l'Etang Barrière. Photo Mélanie Herteman.

« Les mangroves sont reconnues pour retrouver leur état d’origine assez rapidement après le passage d’évènements cycloniques extrêmes. On pourrait même penser qu’elles sont en quelque sorte adaptées à la récurrence de ce type d’évènements puisqu’elles présentent des caractères comme par exemple la viviparité, la production massive de graines, une croissance végétale rapide, certaines espèces peuvent même faire des rejets à partir de souches cassées. Nous avons voulu vérifier cela à Saint Martin après le passage d’un ouragan de force exceptionnelle – puisque Irma a été le plus puissant jamais enregistré et qu’il a frappé de plein fouet l’île d’est en ouest. 

Pour tester cette hypothèse nous avons d’une part comparé les caractéristiques de la structure de la végétation avant et après le cyclone : état de santé, densités des troncs à l’hectare, diamètres des troncs, hauteur des arbres, dans des parcelles d’étude de 25 à 100 m² situées dans 8 étangs de l’île. D’autre part nous avons comparé la distribution des valeurs de réflectance de la végétation (couleur de la végétation vue par satellite) avant et après le cyclone à l’aide d’indices de végétation utilisant la lumière rouge et proche infra-rouge. »  

 

 

Dans l’article vous mentionnez que la mangrove était impactée par les activités humaines, faut-il conclure qu’une mangrove proche d’une zone urbaine est moins résiliente suite à un cyclone ?

« Non pas exactement. Une mangrove proche d’une zone urbaine peut être en très bon état écologique si certaines conditions essentielles à son fonctionnement sont respectées. Ce qui pose problème c’est quand on perturbe/obstrue la circulation de l’eau par la construction de digues, de routes, de parkings, de remblais, etc. La circulation de l’eau est essentielle au fonctionnement de l’écosystème pour ce qui est des flux de nutriments et de graines notamment. Si l’on modifie l’hydrodynamique naturelle, en règle générale la mangrove s’affaiblit, dépérit et on diminue ainsi sa capacité à résilier (retrouver son état d’origine) après une perturbation. En ce qui concerne l’effet de pollutions diffuses et chroniques provenant de zones urbaines voisines (hydrocarbures, métaux lourds, polluants chimiques divers), il est certain que cela participe aussi à la dégradation de la santé de l’écosystème et diminue sa capacité à résilier. »

Quelles autres conclusions avez-vous pu établir ?

« Nous avons pu observer par satellite que les mangroves de Saint martin ont, en majeure partie, très rapidement reverdi après le passage du cyclone. Ceci montre la capacité des mangroves en bon état à se régénérer même après le passage d’un cyclone d’une telle puissance. »

Avez-vous une anecdote de terrain à partager ou un message à faire passer ?

« Un message oui : si la fréquence de tels ouragans augmente dans le futur, comme certains climatologues le prédisent, il faut se préparer humainement, matériellement mais il faut aussi penser aux écosystèmes littoraux, comme les mangroves, qui fournissent de nombreux services naturels. Il faut éviter que les dégâts puissent être un jour irréversible, et donc préserver les mangroves face aux excès d’urbanisation. »

« Sinon, une anecdote : gare aux piqures ! Une anecdote assez commune quand on va fouiller dans les arbres d’une mangrove … les guêpes et autres insectes piqueurs. Il n’est pas rare de devoir tout abandonner brusquement sur place lorsqu’on se fait attaquer par des guêpes ou des abeilles nichant dans les souches de palétuviers, dissimulées sous les feuilles d’une fougère ou d’un philodendron. Pas très contentes que l’on vienne les déranger, leurs piqures à la tête ou au visage sont parfois assez douloureuses, plus ou moins persistantes mais en tout cas nous dissuade à coup sûr de poursuivre le travail ! En Guyane par exemple, il faut accepter d’être confronter aux mouches feux, aux mouches-miel ou aux guêpes sans raison (qui attaque « sans raison » à notre arrivée). Sur l’eau, il arrive de devoir retourner le canoé pour passer cachés pour continuer notre chemin, c’est du vécu ! »

C'est ici pour jeter un coup d’œil sur les autres projets du laboratoire
Pour lire l'article mentionné dans l'entretien :