Florent, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Docteur en géographie depuis 2017 à l’Université de Nantes, je suis aujourd’hui post-doctorant au laboratoire LETG-Nantes, spécialisé sur la cartographie des mangroves. Mes recherches portent principalement sur la spatialisation des structures écologiques des mangroves par l’exploitation d’images satellites. L’idée sous-jacente à chacun de mes projets c’est de créer des méthodes d’observation et donc de suivi des mangroves. Il est alors impératif que les protocoles que j’utilise ne soient pas dépendants des sites et/ou des données. Cela nécessite donc une standardisation méthodologique et typologique. A terme, j’envisage d’élargir mes recherches à la spatialisation des processus écologiques en intégrant les dimensions temporelle et factorielle dans mes analyses.
Quel est votre parcours et comment avez-vous été amené à travailler sur la cartographie des mangroves ?
En 2008 je découvre la Géographie à l’Université, cette science par nature interdisciplinaire me passionne, et très vite je m’oriente vers l’aspect « environnemental » de la Géographie. J’effectue un premier stage sur la cartographie du marais poitevin. L’objectif était de faire une cartographie fine du relief du marais de manière à offrir une lecture plus juste de l’impact de la variation des niveaux d’eau aux gestionnaires, une question extrêmement tendu là-bas.
Puis je m’oriente vers un master de cartographie des risques littoraux. Là je me spécialise sur les outils de SIG et télédétection. J’effectue mon stage de fin d’étude au CEREMA (anciennement CETMEF), sur la construction d’une base de données sur les brèches dans les ouvrages de protection et les cordons naturels. A l’époque, le concept d’ouvrage de protection naturel commençait à devenir de plus en plus populaire, et intégrer les cordons dunaires et grèves de galets dans la base de données démontrait un changement radical dans la façon de penser la gestion des risques de submersion marine.
Je décide vers la fin du stage de m’orienter vers une thèse, sans sujet précis. C’est alors que Marc Robin me propose un sujet sur les mangroves financé en partie par le Conservatoire du littoral et l’IFRECOR. A l’époque je ne connaissais pas les mangroves, mais aux cours de mes recherches j’ai vite compris à quel point cet écosystème est exceptionnel et en même temps assez méconnu du grand public. Ces deux aspects m’ont particulièrement attirés. Par ailleurs le sujet émanait d’un véritable besoin de connaissance de la part des gestionnaires. L’articulation de la science au service de la gestion, bien que cela n’ait pas toujours été très bien perçu ou compris de la part de mes confrères plus fondamentalistes, me plaisait beaucoup.
Pouvez-vous nous parler de vos travaux ?
Ma thèse portait sur une cartographie complète des mangroves de tout l’Outre-mer. L’enjeu était de taille puisqu’il fallait pouvoir trouver une méthode de cartographie qui fonctionne quel que soit le territoire concerné. Pour cela il a d’abord fallu se mettre d’accord, avec des spécialistes de chaque territoire, (i) sur la définition de la mangrove, puis (ii) constituer une typologie cartographique harmonisée basée sur la description de la structure de la végétation (fermeture de canopée, hauteur, et composition floristique). Nous nous sommes ensuite penchés sur l’exploitation des images satellites pour développer des méthodes permettant de cartographier chaque paramètre de la typologie de manière indépendante. Une des avancées majeures de ces travaux fut le résultat de 95 000 ha de mangroves en France, résultat qui est légèrement en dessous de ce qu’annonçaient les études antérieures. Mais il faut toutefois garder à l’esprit que les approches globales sont loin d’être évidentes à mettre en œuvre et les différences observées sont souvent imputables aux méthodologies employées plutôt qu’à la dynamique propre de l’écosystème.
Depuis ma thèse, je me focalise sur deux points :
- d’une part je continue d’améliorer la méthode en prenant en compte les dernières avancées technologiques et satellitaires (comme le lancement des séries de capteurs Sentinel-2). A ce titre j’ai eu l’occasion grâce au Parc marin et à la DEAL de Mayotte d’améliorer la méthode de détection des mangroves et donc l’évaluation des surfaces. Actuellement des projets sont en cours de montage pour mettre en œuvre cette méthode 2.0 sur les autres territoires d’Outre-mer ;
- et d’autre part je continue d’améliorer la précision de l’évaluation de la surface des mangroves à l’échelle nationale en développant des méthodes alternatives sur des territoires particuliers où l’approche globale s’avère inutilisable. D’ailleurs, je réalise en partenariat avec l’UICN et l’association Te Ora Naho une cartographie fine (à très haute résolution spatiale) des mangroves en Polynésie française où la place qu’occupe la mangrove – importée artificiellement en 1933 à Moorea – est encore sujette à de nombreuses interrogations. C’est un territoire où les mangroves sont dispersées en de nombreux patchs de petites tailles, rendant quasiment impossible, ou trop chère, toute méthode automatisée.
Mes recherches portent également sur d’autres écosystèmes littoraux, et notamment les roselières à Typha dominigensis en Guadeloupe en partenariat avec l’Université des Antilles et notamment Daniel Imbert. Le typha est une espèce envahissante qui possède un rythme très soutenu de croissance de son emprise spatiale en plein dans le secteur du Parc national. Pour l’heure, la méthode développée est encore au stade de prototype expérimental et est loin d’être terminée. Mais les premiers résultats nous donnent d’ores et déjà des éléments de réflexions sur les pistes envisageables pour aboutir à un protocole cartographique robuste et rapide à mettre en œuvre.
D’après vous, quelles applications concrètes pourraient être mise en place par les différents acteurs de l’environnement à partir de vos recherches ? Comment cela peut-il aider à mettre en place des mesures opérationnelles ?
Un des premiers aspects c’est le renseignement de différents indicateurs à l’échelle nationale qui vient concrétiser les différentes stratégies politique de gestion/conservation des mangroves. Par exemple, la cartographie réalisée dans le cadre de ma thèse a déjà servi de base pour le renseignement des indicateurs nationaux dans le cadre de l’Observatoire National de la Biodiversité (ONB).
Mais on pourrait aller plus loin et, grâce au Réseau d’observation et d’aide à la gestion des mangroves (ROM), nous souhaiterions mettre en place un réseau d’observateurs des mangroves appuyé par un service cartographique qui soit à la fois précis et réactif. Ce réseau serait ainsi capable d’agir rapidement en cas de perturbation identifiée en mangrove.
Pensez-vous qu’il faille davantage communiquer sur les travaux des chercheurs ? Si oui, auprès de quel public ?
Le travail du chercheur a considérablement évolué depuis quelques années, et nous sommes très nombreux à passer énormément de temps à gérer les aspects administratifs de nos recherches. Répondre à un appel à projet, monter un projet ANR ou européen est extrêmement chronophage, personnellement j’y passe presque la moitié de mon temps et je pense être en dessous de la moyenne ! A cela s’ajoute la pression de la publication scientifique internationale dans des revues à comité de lecture, seule garantie de l’excellence scientifique. Tous ces facteurs participent au fait que les chercheurs n’ont plus assez de temps pour communiquer sur leurs travaux, ou considèrent que ce n’est pas assez rentable (cela ne rapporte pas d’argent et n’apporte pas le prestige et la légitimité d’une publication scientifique).
Or la rédaction de rapport de vulgarisation (guide technique, synthèse de l’état de l’art, etc.) est très importante pour conserver le lien entre chercheurs et gestionnaires qui souvent travaillent sur les mêmes lieux. Il est regrettable de voir des projets de recherche aboutir à des résultats excellents mais qui restent uniquement entre chercheurs sans jamais être ré-exploitée ensuite par les gestionnaires faute de moyens financiers, techniques ou humains.
Je pense qu’il est impératif aujourd’hui que l’on mette à disposition des chercheurs les moyens de publier autrement que dans des revues scientifiques, et que l’on revalorise les travaux de vulgarisation qui restent les travaux les plus utilisés par les gestionnaires. A titre d’exemple, le guide méthodologique de cartographie des mangroves qui reprend les résultats des recherches menées durant ma thèse est deux fois plus consulté que la thèse elle-même ou les autres travaux scientifiques. Cela s’explique par le fait que ce guide s’adresse à des non-spécialistes, et propose des focus sur certains concepts et méthodes clés qui permettent une meilleure compréhension globale de l’étude.
Donc oui, les chercheurs ont tout intérêt, selon moi, à communiquer davantage avec les gestionnaires des espaces sur lesquels ils travaillent. Mais pour que les gestionnaires se réapproprient ces travaux, il ne faut pas seulement communiquer oralement dans des conférences ou réunions, mais aussi par le biais de rapports techniques explicites et adressés à des non-spécialistes. Mais il faudrait pour cela, revaloriser ces travaux au regard des chercheurs.
Vous avez sans doute été amené à vous déplacer dans les Outre-mer dans le cadre de vos recherches, souhaitez-vous partager une expérience en particulier ?
Si au cours de mes pérégrinations en mangrove je devais retenir une expérience en particulier ce serait la Guyane. A l’époque, c’est-à-dire en 2014, c’est Christophe Proisy qui m’a fait découvrir son terrain de jeu, et je peux vous dire que j’en garde un souvenir indélébile. Je me souviendrai en particulier de la fois où on a bien failli restés envasés avec le bateau de l’IRD dans l’estuaire du Sinnamary, on était épuisés, couverts de vase, et dévorés par les moustiques, mais on devait impérativement hisser le bateau jusqu’à la berge car la marée montait. Bref un bon coup de stress ! Mais je garde aussi des souvenirs plus agréables, les mangroves de Nouvelle-Calédonie, entre autres, sont sublimes et présentent des paysages à couper le souffle. Et encore récemment j’ai eu l’occasion de faire de relevés dans les mangroves de Mayotte en compagnie de François Fromard, Romain Walcker, Kissimati Abdallah et Emma Michaud. C’était en juin 2018 durant la période où l’île était secouée quotidiennement par de petits événements sismiques. C’était assez drôle de voir nos réactions chaque fois que l’on sentait (ou pas) la vase trembler. Bref la mangrove laisse de beaux souvenirs en général à ceux qui s’y intéressent et osent s’y aventurer.
Pour accéder à la dernière publication de Florent Taureau sur les nouvelles avancées pour mieux cartographier les mangroves, c’est ici
Dissémination du Rhizophora mangle en Nouvelle Calédonie Grand cul-de-sac marin en Guadeloupe
Mangrove à Sonneratia alba à Mayotte