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A la rencontre de… M. Alain PIBOT, délégué régional adjoint Outre-mer pour le Conservatoire du Littoral

Alain, en quelques mots, parles nous de toi, de ton parcours professionnel. Avec un focus sur tes expériences & missions en Outre-Mer.

Forestier des régions chaudes de formation, j’ai déroulé l’essentiel de ma carrière en contexte biogéographique tropical, d’abord en Afrique subsaharienne, où j’ai appris l’humilité. Il est toujours très formateur lorsque l’on sort d’une école d’ingénieur française de se faire enseigner bien des choses sur les arbres par de jeunes bergers peuls qui ne sont jamais allés à l’école. Et c’est une excellente manière de comprendre d’une part que la majorité des savoir-faire traditionnels ont des justifications rationnelles très robustes car héritées de longues expériences de confrontation entre usages et milieux, et d’autre part que le bon praticien est souvent celui qui connaît son environnement plus que les équations et les grandes théories. Mais c’est aussi au cœur du désert malien que j’ai pris conscience de l’impérieuse nécessité de protéger les zones humides … vitales ici plus qu’ailleurs.

J’ai poursuivi ma carrière dans l’Océan indien, et c’est en suivant la forêt que je me suis approché des zones humides et du littoral. Drôle de forêt littorale que l’on n’enseigne pas en Europe mais qui constitue pourtant une richesse considérable dont notre nation peut s’enorgueillir : la mangrove. Et c’est en suivant Rhizophora et ses cousins que j’ai poursuivi ma course dans l’eau pour découvrir une autre dimension de la biodiversité. Moi qui ne voyais en mer qu’un plan d’eau, un miroir, j’ai découvert toute la richesse du monde. Une puissance 10 apposée sur le mot biodiversité. Alors que forestier je baguais les tortues marines sur les plages de Mayotte, il m’a fallu plonger pour voir où elles mangeaient, se reproduisaient, et c’est avec les tortues que je découvrais les récifs de l’une des plus belles barrières de Corail au Monde.

J’ai alors orienté ma carrière vers le littoral, écotone passionnant, explosion de diversité biologique mais aussi siège de tant d’enjeux de conservation, réceptacle des excès de l’humanité, où la mer rejette ce qu’elle n’a pu digérer et la terre déverse ses jus nauséabonds. S’il est un endroit où de toute évidence il faut œuvrer pour gérer et protéger, c’est assurément sur cette frange tant convoitée, si polluée, si mal valorisée. C’est donc au sein de DREAL et DEAL, puis de l’Agence des aires marines protégées et enfin du Conservatoire du littoral que j’ai consacré l’essentiel de mon énergie professionnelle pour contribuer avec modestie mais passion à la connaissance, la protection, la gestion et la valorisation de ce patrimoine naturel littoral qui m’est cher, aux zones humides qui parsèment nos rivages, aux mangroves qui abritent ce que la nature conjugue le mieux.

Dans les grandes lignes, fais nous un bref rappel des principales missions du Conservatoire du littoral et des particularité de l’antenne OM.

Le Conservatoire du littoral est un établissement public de l’État, mais principalement piloté par des élus littoraux et c’est très bien ainsi. Sa mission depuis 1975 est d’acheter le littoral pour le protéger, et le soustraire à toute velléité de privatisation et de bétonnage. Conserver ce patrimoine qui fait de la France l’une des plus grandes destinations touristiques au Monde était un enjeux national. Cet outil si particulier fonctionne bien, plus de 200 000 hectares sont aujourd’hui protégés, qui accueillent plus de 40 millions de touristes chaque année.

En Outre mer, la mission est la même. Sont importance y est plus grande encore du fait de la vocation touristique de nos îles tropicales, mais aussi du fait des fonctions écosystémiques que le littoral joue, sur la protection des enjeux littoraux face aux événements climatiques exceptionnels, sur l’épuration des eaux et la protection des milieux marins beaucoup plus fragiles qu’en zone tempérée, sur la fertilité halieutique des eaux territoriales…  Mais dans nos beaux territoires tropicaux de Mayotte, de Guadeloupe, de St Martin ou de Martinique, les pressions sont fortes et le travail du Conservatoire devient un combat quotidien pour faire comprendre les enjeux et défendre ces espaces.

Quelles sont les principales pressions qui s’exercent sur le littoral de l’Outre-mer ?

On peut considérer que les principales pressions qui pèsent sur le patrimoine littoral en outre mer portent sur la destruction directe des habitats, pour la construction, la mise en place d’infrastructures privées ou collectives. Les ports bien sûr, mais aussi tous les aéroports (seul l’aéroport de Guyane n’est pas construit sur des zones humides littorales à forte valeur écologique), beaucoup de grandes routes (comme la route littorale de la Réunion), les infrastructures sportives (le futur circuit auto moto de Guadeloupe par exemple), les grandes zones d’activité (Kawéni à Mayotte, Jarry plus grande ZAC de France en Guadeloupe, La Lézarde en Martinique, la ZI de Ducos à Nouméa), et même certaines Directions de l’environnement comme celle de Mayotte, sont souvent installés sur les remblais littoraux ayant détruit des habitats naturels précieux.

La seconde grande pression porte sur la pollution du littoral et en particulier des zones humides. Combien de millions de rejets non conformes se jettent dans les étangs littoraux, dans les lagunes et les mangroves, trop souvent considérées comme des STEP en soit. Et puis qui va s’en plaindre ? Ces pollutions ne se voient pas. Les mangroves digèrent énormément, jusqu’à la cirrhose, à l’écoulement. La mangrove de Ducos en Nouvelle Calédonie, celle de Grand Baie en Guadeloupe, de Port Cohé en Martinique, sans parler des étang de Saint Martin ou de l’étang de Saint Jean à Saint Barthélemy qui sont à saturation.

A la veille de ton départ (31/07/2018), quel bilan dresses tu de tes années passées au Conservatoire en tant que délégué régional adjoint Outre-mer ? Des leçons à en tirer ?

La principale conclusion que je tire de quatre années passées à piloter les travaux du Conservatoire du littoral sur les rivages français d’Amérique c’est avant tout que malgré les pressions, le patrimoine reste immense, insoupçonné, à l’image des immenses étendues de savanes Sarcelles en Guyane qui abritent l’une des plus belles populations mondiales d’oiseaux littoraux, à l’image des rivages de l’îlet Fajou où les récifs redémarrent comme ils n’ont plus été vu depuis plus de 50 ans, preuve que les efforts collectifs commencent à payer, à l’image des salines de Sainte Anne qui jour après jour gagnent en protection et en richesse.

Autre raison de satisfaction, l’émergence d’une génération de jeunes techniciens et ingénieurs guyanais et antillais qui prennent la relèvent des anciens avec ferveur, envie, énergie et compétence. Des gardes du littoral aux techniciens des collectivités, tous poussent vers la sortie des dignitaires qui ont sclérosé nos territoires d’outre mer. Cette nouvelle génération apportera à la gestion du patrimoine une compétence dans la durée qui permettra de pérenniser les acquis et reconquérir les pans de biodiversité perdus. Je suis aujourd’hui très optimiste, car nos territoires d’outremer ont compris que leur destin, leur santé sociale et économique est étroitement liée à la santé et à la qualité de l’environnement naturel, joyaux irremplaçable et fonds de commerce devenu rare.