« Aujourd’hui, j’ai sélectionné sept mares remarquables » , annonce Joséphine Ladine, présidente de l’association « J’ose la Nature » . « Sept comme les sept jours de la semaine, les sept merveilles du monde, les sept nains ou encore les sept rythmes du gwoka. Un chiffre qui s’apparente bien avec le merveilleux » . Et c’est en minibus que la compagnie est invitée à effectuer ces découvertes.
PREMIER ARRÊT : KAWLAN À BEAUSOLEIL
« Il s’agit là d’une mare naturelle et très capricieuse, annonce la conteuse. Elle aime changer de robe. Parfois son eau est claire, parfois elle est souillée. Pour la discipliner, j’ai travaillé dur pendant 7 mois, 7 semaines, 7 jours,7 heures, 7 minutes et 7 secondes et j’ai fini par la carreler de laitues d’eau. La mare Kawlan recouvre un ancien espace militaire dont les canons ont été transportés sur l’actuelle place de la mairie. Sept manguiers y étaient plantés au pied desquels, dit-on, furent enterrés sept esclaves gardant chacun un trésor. Un fromager répand son ombrage, mais les soukounyans qui l’habitaient avant ont désormais du mal à s’y arrêter car l’arbre a été élagué il y a un peu plus de deux ans. Pourtant, peut-être que les téméraires qui reviendront à la pleine lune, à minuit tapante, auront la malchance d’en croiser quelques-uns. » .
DEUXIÈME MARE, À BEAUSOLEIL TOUJOURS
Elle se nomme Ma Onoré. Cernée de bambous, elle est suffisamment profonde pour que les enfants, antan lontan, viennent y apprendre à nager.« On dit que quiconque entrait dans cette eau apprenait obligatoirement à nager, pour ensuite nager partout, en milieu aquatique comme en milieu terrestre.
Face à ce phénomène peu commun, les politiques ont dû réagir. C’est donc la mare Honoré qui est à l’origine de la construction de la piscine intercommunale! » .
Nourrissant Ma Onoré de son trop plein, vient ensuite Manéyé, située sur une propriété privée.
TROISIÈME MARE, MAMANÉYÉ
« C’est la mare que j’ai préférée, se souvient Dalie, 11 ans, car elle a une légende que je ne vais pas oublier. Antan lontan, à 10 heures du soir, les diables se rassemblaient pour savourer leur casse-croûte. Ils ne mangeaient pas n’importe quoi! Ils avalaient destigason an tout sòs. Mais un soir, un diable faillit se tromper et manger une petite fille. La fillette se mit à chanter jusqu’à ce que le diable saute dans l’eau et se noie. On dyab té néyé adan ma-la! Depuis, si jamais vous passez par là et que vous sentez une odeur, ne le dites pas car le diable pourrait vous entendre et vous enlever ».
QUATRIÈME MARE , GRANMA
A Granma, « Il se passe des choses particulières, notamment autour du pied de pommes roses qui caresse l’eau » , affirme Joséphine Ladine, hésitant à poursuivre. Mais elle en a trop dit ou pas assez. Son groupe la presse alors. Difficilement, elle se lance.
« A une heure qu’il m’est interdit de révéler, les morts viennent se baigner ici et échangent avec leurs parents. Pour lire leurs messages, il suffit de récolter un peu d’eau dans la paume de la main et de traverser les Grands-Fonds pour trouver une lampe d’eau. D’ailleurs, voyez vous-mêmes! Pour faciliter les choses, un cimetière familial se trouve face à la mare, et une petite tente est plantée pour permettre les ti-kozé ».
CINQUIÈME MARE, TIMA
Tima se trouve sur le plateau de Boricaud, en face d’une école élémentaire. Les enfants de l’école se sont appropriés cet espace. Ils l’ont étudié et l’utilisent à des fins diverses, contribuant ainsi à le protéger. Ils répondent par là-même aux exigences du campêcher savant qui veille sur la mare.
SIXIÈME MARE, MA FONLABRI
Ma Fonlabri est une des rares mares qui ne tarissaient jamais. Les gens y venaient parfois de très loin en période de sécheresse. Elle regroupait tous les usages selon une organisation réglementée : une entrée pour les humains, une autre pour les animaux, une pour les usages domestiques, etc. « Quand les vaches buvaient de cette eau, on raconte qu’elles étaient si contentes qu’elles riaient à gorge déployée. C’est de là que vient l’expression « Vache qui rit » . D’ailleurs, ne dit-on pas Boricaud, qui signifierait dans un langage mal articulé « boeufs qui rient » ?
SEPTIÈME MARE, MASALAZEN
Elle est située dans un fond sur la propriété Adélo. A l’arrivée des promeneurs, un troupeau de cabri passe. Joséphine est en colère : « L’exceptionnel vient de se produire sous nos yeux et nous ne l’avons pas remarqué! » déplore-t-elle.
A l’abri de ce jardin planté en essences très variées (avocatier, muscadier, noisettier Caraïbe, cachiman, caïmite, amandier, etc.), Manman dlo, qui peut prendre la forme qu’elle veut, s’est changée en cabri à notre arrivée alors qu’elle était en train de laver son linge! « Regardez, ses kwis et autres bassines, seaux, chaspann, etc. sont encore là! Elle avait sûrement l’intention de se baigner ensuite, car de nombreux feuillages attendent leur heure dans une terrine en zinc! » .
L’assistance est sous le charme. Les enfants, les adolescents et les adultes apprécient. L’animatrice, applaudie par tous, conclut : « Grâce à vous, petit à petit, les choses prennent corps. J’ai essayé de faire au mieux pour que les légendes autour des mares existent, revivent, soient créées. Si je n’ai pas vu dans vos yeux la peur, j’ai tout de même senti doutes et interrogations s’installer. Mais, au fait, vous avez failli me perdre, zòt pa vwé dyab’la ki té kay chawmé mwen ? Heureusement que j’avais épinglé avant de partir sur la poitrine de chacun un mouchoir de protection avec une croix dessinée dessus! ».