Cette étude sonne comme un écho à la future Journée mondiale des zones humides attendue cette année à partir du 2 février. Son thème ? Des zones humides pour les villes de demain…
L’écologue Emma Rossi, chercheuse au Cary Institute of Ecosystem Studies, montre dans une étude parue en janvier 2018 dans la revue Environnmental Toxicology and Chemistry, que les cours d’eau « urbains », où qui passent par des zones urbanisées, contribuent au développement de résistances de la part de microorganismes envers des produits pharmaceutiques. En cause, les systèmes de traitement des eaux usées ne permettent pas ou peu le traitement des composés tels que les antibiotiques, les antidouleurs, les antihistaminiques et autres médicaments, qui se retrouvent donc dans le milieu aquatique.
Dans les cours d’eau, une multitude de bactéries et de microalgues interagissent les uns les autres pour former ce que l’on appelle un biofilm, soit l’assemblage de ces communautés microorganiques sur un substrat dur plus ou moins immergé. Les biofilms jouent un rôle essentiel dans le maintien du bon fonctionnement écologique des cours d’eaux, à travers leur implication dans la régulation des pollutions d’origines organiques, des phénomènes d’eutrophisation et des cycles géochimiques (carbone, azote). Ils sont également l’un des premiers maillons de la chaîne alimentaire.
Mais en quoi l’apport de ces produits de synthèse d’origine pharmaceutique est-il en mesure de modifier l’équilibre et la composition taxonomique de ces biofilms, mettant ainsi en péril (ou pas) leur fonctionnement et leur rôle structurels ?
Plusieurs études ont déjà montré la sensibilité de ces biocénoses particulières face à diverses perturbations. Et l’apport continu de contaminants d’origine anthropique a de réels impacts sur la compostions et la diversité de l’assemblage de ces microorganismes. Ainsi, bien plus que les biofilms en eux-mêmes, c’est toute l’écologie d’un cours d’eau qui pourrait être altérée.

Pour en avoir le cœur net, l’équipe d’Emma Rossi évoque deux hypothèses : les biofilms des cours d’eaux urbains sont plus résistants en raison d’une exposition continue aux produits chimiques (résilience et adaptation des microorganismes) tandis que les cours d’eaux de zones moins urbanisées sont plus sensibles car moins soumis à ce genre de pollution.
Les chercheurs ont trouvé dans les eaux analysées la présence abondante de 6 composés chimiques communs : paracétamol, caféine (stimulant et diurétique), sulfaméthoxazole (un antibiotique), diphénhydramine (un antihistaminique), amphétamine et morphine (antidouleurs). D’autres composés viennent également enrichir ce « cocktail chimique ».
Pour tenter d’évaluer l’impact de ces composés de synthèse sur l’assemblage et le fonctionnement des biofilms, les auteurs ont analysé la respiration de ces biofilms. Les résultats diffèrent en fonction de degré d’urbanisation de la zone et des types de contaminants auxquels ils s’exposent. Mais d’une manière générale, tous s’accordent pour dire que la respiration des biofilms est altérée en présence de ces éléments. Ils trouvent également une corrélation entre le degré d’urbanisation et la teneur en produits pharmaceutiques du cours d’eau : plus celui-ci est urbanisé, plus cette teneur augmente. L’hypothèse de départ semble se confirmer car les auteurs estiment que le fonctionnement des biofilms dans les zones soumises à de forts apports de produits médicamenteux présentent une meilleure respiration que dans les zones soumises à des apports non continus mais par à coups.
Plus inquiétant, les bactéries du genre Aeromonas sont abondantes dans les eaux des sites les plus urbanisés. La plupart des bactéries du genre Aeromonas sont responsables de maladies chez l’homme, comme les maladies gastro-intestinales. La présence de l’antibiotique « ciprofloxacine » induit un changement majeur dans la composition taxonomique des biofilms. Les microorganismes les moins résistants à cet antibiotique régressent au profit des bactéries plus résistantes. Les auteurs montrent ainsi que les biofilms des zones les plus urbanisées, même s’ils changent sous l’effet des produits chimiques médicamenteux, sont beaucoup plus résilients. Mais s’ils sont capables de « s’adapter », ces changements de communautés au sein des biofilms peut dans certain cas être favorable au développement de bactéries infectieuses pour l’homme, comme pour le cas des bactéries du genre Aeromonas.
Cette étude montre de plus l’intérêt de zones humides en milieu urbain, non pas comme aménité, mais aussi comme une problématique sanitaire.
