fermer

Les mangroves du monde entre 1996 et 2010 : quelles évolutions ?

Les surfaces de mangroves, à l’échelle globale, ont régressé continuellement depuis de nombreuses décennies, au moins à partir de la seconde moitié du XXème siècle, période couverte par des analyses scientifiques plus ou moins précises en fonction des données disponibles. Les outils d’aujourd’hui permettent dorénavant des analyses plus rigoureuses grâce notamment aux nouvelles générations de satellites. Plusieurs études ont déjà tenté de brosser un état des lieux de l’évolution des mangroves dans le monde : l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (plus connue sous le sigle anglo-saxon « FAO ») ont analysé l’évolution des mangroves entre 1980 et 2005 à partir de données quantitatives et qualitatives. Spalding et al. ont produit une cartographie globale à partir de données éclectiques. La première carte mondiale des mangroves fondée sur la récupération d’images satellites a été produite en 2010 par Giri et al. mais il s’agit alors d’une carte à un instant « t », ne permettant pas l’analyse diachronique. D’autres études menées dans cette veine ont toutefois permis d’apprécier les dynamiques spatio-temporelles de la surface des mangroves dans le monde mais elles reposaient sur des données préexistantes, dont les protocoles d’acquisition et de traitement différaient sensiblement. De plus, elles se limitaient au calcul gain/perte de la mangrove sans évoquer les facteurs de ces changements.

Un groupe de chercheur a donc voulu proposer une analyse spatio-temporelle plus robuste de l’évolution des surfaces de mangrove à l’échelle globale, à partir d’un jeu de données continues provenant de satellites capables de s’affranchir des mauvaises conditions météorologiques et de luminosité quant à l’observation de la surface terrestre. Les facteurs conduisant à ces évolutions sont renseignés en parallèle. Cette analyse concerne la période 1996-2010.

Qu’en est-il ?

Il en résulte, selon les auteurs, qu’aucune partie du monde ne présente de mangroves totalement intactes durant cette période, avec l’observation d’atteintes anthropiques dans chaque situation. La perte de mangrove connaît des disparités régionales, partagée entre des facteurs d’origines anthropiques et/ou naturelles. L’Asie du Sud-est se distingue en termes d’impacts humains : la moitié des tuiles (images satellites) témoigne d’une activité anthropique préjudiciable à l’intégrité des mangroves.

Globalement, environ 40% des images présentent des signes d’atteintes anthropiques, dont leur origine remonte avant la période d’étude pour la plupart. Entre 1996 et 2010, la cause la plus fréquente de perte de mangroves est leur conversion en bassins aquacoles ou en terres agricoles. En tête ? L’Asie du Sud-est. Les auteurs évoquent le point intéressant que la perte de mangrove est également exacerbée, en certains points, par des processus naturels : l’érosion prend souvent le relais après qu’une activité anthropique ait impacté une parcelle de mangrove par exemple.

Environ 8 % des images ont été classées comme « hot spot » en termes de changement, c’est-à-dire qu’elles révèlent un changement majeur de surface et/ou d’occupation du sol, aussi bien en termes de gains (replantation, colonisation naturelle) qu’en termes de pertes. Ces «points chauds » concernent la côte pacifique de l’Amérique du nord, la côte pacifique de l’Amérique centrale (Honduras), les côtes occidentales de l’Inde et certaines régions de l’Asie du Sud-est. Ces « points chauds » devraient, selon les auteurs, faire l’objet de mesures de gestion prioritaires.

Exmple de conversion d’une mangrove en bassins aquacoles. Delta de Mahakam, Indonésie. a) Color composite SAR image, b) 1996 Landsat 5 TM image, c) 2010 Landsat 5 TM image. La couleur rouge témoigne d’un changement d’occupation du sol : c’est le développement de l’aquaculture (source : THOMAS et al. 2016. Distribution and drivers of global mangrove forest change, 1996±2010)

En ce qui concerne les gains de  surface des mangroves, un total de 379 tuiles montrait des processus de recolonisation par la mangrove, avec une majorité de cas pour l’Asie du Sud-est, région qui présente elle-même le plus fort taux d’anthropisation des surfaces de mangroves. Tout comme pour l’érosion, les zones témoignant d’une progradation de la mangrove se situe dans des secteurs à fortes énergie, où les sédiments mobilisés ont pu se déposer dans les secteurs de dissipation de l’énergie (une baie par exemple). C’est notamment le cas en Guyane française, dont ces cycles de recul et d’avancé sont plutôt bien compris. Cette région a d’ailleurs été identifiée lors de cette étude comme la région présentant les mangroves les plus intactes (72% des tuiles du territoire).

Avancée de la mangrove le long de la côte en Guyane française. A) JERS-1/PALSAR color composite image, B) 1997 Landsat 5 TM image, C) 2010 Landsat 5 TM image (source : THOMAS et al. 2016. Distribution and drivers of global mangrove forest change, 1996±2010)

 

Au total, 11% des tuiles attestaient d’une conversion en agriculture et/ou aquaculture. D’une manière générale, presque 40 % des tuiles montraient une atteinte du milieu par des activités anthropiques.

Pour finir, si la cause générale de perte surfacique de mangrove (et sans doute de perte fonctionnelle dans la foulée) serait due au développement de l’aquaculture, il existe des particularités régionales : en Amérique du nord par exemple, l’un des principales causes de régression des mangroves en termes de surface est liée à l’urbanisation.

Ainsi, cette étude tente d’apporter des éléments de réponse quant à l’évolution des surfaces de mangroves aux échelles mondiales et régionales, tout en la mettant en relation avec les causes. Si le phénomène de recul des mangroves persiste dans le monde, le phénomène n’est pas uniforme : certaines régions accusent des gains nets, d’autres subissent de plein fouet les mises en culture. L’identification de « points chauds », en termes de gains et de pertes, permettraient de concentrer des efforts de gestion et de conservation de l’écosystème en priorité. Si le terme « activité anthropique » est généralement synonyme de perturbations sur les milieux naturels, il peut également renvoyer à des notions d’utilisation durables des ressources, où la cohabitation est possible.

Consulter l’intégralité de l’étude sur la base documentaire du Pôle-relais zones humides tropicales