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A la rencontre de…. Julien CHALIFOUR, Responsable scientifique pour la Réserve Naturelle Nationale de Saint-Martin

Julien, en quelques mots, qui es-tu et d’où viens-tu ?

Originaire du Limousin, j’ai suivi des études appliquées spécialisées dans les domaines de la biologie des organismes marins, de l’écologie et la gestion de l’Environnement, m’ayant amené à obtenir un BTS en Génie des productions marines (aquaculture, aquariologie) et gestion des pêches, ainsi qu’un DESS de Développement local, Aménagement du territoire et Gestion des ressources naturelles en milieu tropical. A la suite de cette formation, j’ai travaillé dans le domaine de l’aquariologie, en tant qu’halieute pour le Comité Régional des Pêche de Guadeloupe, puis comme consultant pour un bureau d’étude spécialisé dans l’ingénierie en environnement marin, pour finalement être recruté par l’Association de Gestion de la Réserve Naturelle de Saint-Martin.

 

Quel poste occupes-tu actuellement à la réserve de St Martin et en quoi consiste-t-il ?

Depuis octobre 2011, j’occupe le poste de Responsable scientifique pour la Réserve Naturelle Nationale de Saint-Martin. Je suis donc en charge d’accompagner et de conseiller le gestionnaire sur les aspects scientifiques pour la mise en œuvre d’une gestion adaptative contribuant à une conservation efficace des populations animales et végétales, patrimoine naturel de Saint-Martin. Je conçois, mets en œuvre et diffuse les résultats d’études et de suivis scientifiques documentant l’évolution des populations vivantes à Saint-Martin. Mais j’anime également un réseau local de volontaires motivés et impliqués dans la conservation de diverses espèces (oiseaux, tortues, mammifères marins, cactus…).

 

Quels sont les aspects de ton métier que tu apprécies particulièrement ?

Je plonge et capture sur images la vie sous-marines depuis plus de 15 ans. J’apprécie donc tout particulièrement l’ensemble des actions de terrain que nous sommes amenés à effectuer en tant que gestionnaire d’AMP. Nous sommes très souvent en contact direct avec le milieu, que ce soit dans de bonnes ou de mauvaises conditions. Mais cela nous amène souvent à être les premiers spectateurs du spectacle de la Nature.

 

Quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui souhaitent travailler au sein d’une réserve ?

Travailler au sein d’une réserve marine ce n’est ni faire des études longues pour devenir un grand scientifique, ni se promener en permanence sur et sous l’eau. C’est un juste milieu entre les deux. Les gestionnaires peuvent appartenir à un grand nombre de corps de métiers : agent d’entretien, garde, technicien, chercheur, chargé d’étude ou de mission, juriste, secrétaire, infographe, cartographe… Plus qu’une liste interminable de diplômes, c’est la motivation, la passion et l’expérience qui fera que votre candidature pourra être retenue. Un technicien au sein d’un organisme de gestion peut très bien monter les échelons en faisant valider son expérience professionnelle et en bénéficient de formations en interne pour voir son poste et ses fonctions évoluer. Pour travailler dans une réserve, il faut surtout être conscient de ce que cela représente comme engagements (professionnels et personnels) et pour cela rien de mieux que de faire des stages ou du volontariat dans un organisme de gestion près de chez vous.

 

Peux-tu nous présenter la Réserve Naturelle Nationale de Saint-Martin ?

La Réserve Naturelle de Saint-Martin c’est 3 100 ha de zones protégées constituées à 95% d’espaces marins, pour une ile plus petite que Marie Galante et divisée en 2 par une limite administrative perméable à 4 langues et 3 monnaies utilisées sur l’ensemble du territoire. C’est un espace naturelle géré depuis 1998, mais ouvert au public et regroupant des écosystèmes marins et terrestres constitutifs de l’identité de l’ile : récifs coralliens, herbiers de phanérogames marines, mangroves, plages de sable corallien, prairies aérohalines, forets sèches… C’est un patrimoine naturel fragile moteur de l’activité touristique, principal secteur économique de l’ile. C’est un espace de conservation, de découverte, de recherche et d’innovation au profit de la population locale et des visiteurs. Mais c’est un espace et des peuplements soumis à des pressions multiples et grandissantes, dont le contrôle nous échappe pour certaines : pollutions, changements globaux. Bref c’est un concentré de défis.

 

Il y a un avant et un après Irma. Comment s’annonce les mois/années à venir pour la réserve ? Quels impacts sur les aménagements, les espèces végétales et animales ?

La Réserve allait fêter ses 20 ans de protection et de mise en valeur du patrimoine naturel saint-martinois, mais Irma s’est invitée à la fête sans prévenir. C’est un risque connu de chacun, mais il était difficile de s’attendre à un phénomène d’une telle ampleur (catégorie 5+). Mes collaborateurs ayant une plus grande ancienneté dans la structure me parlaient souvent de Luis (5 septembre 1995) et de l’impact durable que ce cyclone de catégorie 4 avait eu sur les formations végétales et les populations animales de l’ile. Il y aura donc indéniablement un après-Irma tant pour l’état de santé du patrimoine naturel que pour le combat à mener pour sa réhabilitation et sa conservation. L’ile est actuellement pleinement tournée vers la reconquête de son territoire : effacer les traces, nettoyer, repenser Saint-Martin et rebâtir. La Collectivité a annoncé sa volonté de saisir l’opportunité de prendre une nouvelle trajectoire et de doter Saint-Martin d’outils pour la promotion de son identité et d’un tourisme tirant partie de son patrimoine naturel en le valorisant et le préservant. L’équipe de la Réserve œuvre depuis 20 ans dans ce sens et sera un partenaire solide sur cette voie. Les chantiers de nettoyage et de réhabilitation ont débuté au sein de la réserve et des espaces du Conservatoire du Littoral, mais la route sera longue pour restaurer nos paysages côtiers. Une attention particulière sera portée aux espèces emblématiques et à la non-introduction d’espèces envahissantes. Divers projets aideront à cette relance, l’Institut Caribéen de la Biodiversité Insulaire en sera le principal support, en contribuant à la promotion de la destination et à son rayonnement au-delà de la Caraïbe. Nous travaillons également avec l’Etat et diverses fondations pour le financement de projets de reconquête de la biodiversité marine et terrestre, afin de tout mettre en œuvre pour atténuer les stigmates d’Irma sur la durée. Des suivis et relevés sont opérés de manière pérenne pour identifier et quantifier ces derniers, mais la réponse du milieu se fera dans le temps. C’est un travail de longue haleine qui s’annonce pour nous.

 

La réserve a-t-elle de futurs projets dont tu souhaiterais nous parler ?

Le projet phare de 2018 et ce même avant qu’Irma ne s’abatte sur notre ile, est l’Institut Caribéen de la Biodiversité Insulaire. Plus qu’une structure ou un bâtiment destiné à accueillir nos locaux administratifs et techniques, ce sera un espace d’accueil du public ouvert sur le milieu naturel et pour la mise en valeur du patrimoine naturel de Saint-Martin. C’est en effet cet héritage constituant l’identité de notre ile qui sera le moteur de la relance économique sur le long terme. Cet outil nous dotera d’espaces d’accueil des scolaires, d’une zone
d’exposition temporaire et permanente, de moyens pour l’accueil de chercheurs, de congrès, ainsi que pour la mise en place de formations professionnelles innovantes. En parallèle, les sites naturels impactés seront réaménagés en collaboration avec le Conservatoire du Littoral et la Collectivité de Saint-Martin, pour permettre une réouverture au public des mangroves et espaces côtiers au plus vite et dans le respect de ces derniers. Le milieu marin ne sera pas en reste. Dans la lignée du projet BioHab initié avant le passage du cyclone, nous allons poursuivre la mise en œuvre de projets pilotes destinés à favoriser la diversification et le renforcement des populations marines : implantation d’habitats artificiels, restauration corallienne, pêche-élevage-relâchés de larves de poissons et invertébrés (PCC)… L’ensemble de ces projets vise à accompagner la récupération des milieux après l’important stress subi en septembre dernier, mais aussi à donner un nouvel élan au gestionnaire, ainsi qu’à l’ensemble de l’ile, pour qu’Irma ne soit pas seulement la fin d’une époque, mais le début d’une grande aventure.

 

As-tu un message particulier à faire passer ?

Aujourd’hui encore des personnes semblent sceptiques face à l’intérêt et à la portée de la Conservation de la Nature. Il faut que chacun comprenne que l’on ne tend pas à préserver les petites bêtes et les petites fleurs au travers de ces actions ; mais uniquement à maintenir le cadre de vie nécessaire à tous. On peut aujourd’hui difficilement nier l’impact de notre main sur l’environnement, notre cadre de vie, et Irma n’en est que l’un des nombreux symptômes. Préserver ce qui nous entoure, c’est préserver demain pour chacun.