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Les zones humides tropicales de l’Outre-mer français font face à de nombreuses menaces pesant sur leur intégrité. Qu’elles soient d’origines anthropiques ou naturelles, les pressions qui s’exercent sur les écosystèmes aquatiques perturbent les cycles géochimiques, les chaînes trophiques ainsi que les  autres fonctions environnementales de ces espaces. Et cela au détriment des sociétés humaines qui tirent profits de leur existence.

Phénomènes naturels et dynamique côtière

Certains phénomènes naturels peuvent porter préjudices aux différents milieux humides tropicaux : cyclones, tempêtes, tsunamis, incendies…

Des mangroves peuvent connaître des évolutions régressives sans que des actions anthropiques soient mises en causes (PASKOFF, 2004). C’est notamment le cas en Guyane où la présence de bancs de sables d’origine amazonienne conditionne la progradation et l’érosion des mangroves situées en front de mer. Soumis au courant des Guyanes, ces bancs de sables de 20 à 40 km de longueur migrent en direction du Nord-Ouest et sont colonisés par les palétuviers. Ils sont séparés les uns des autres par des secteurs en érosion qui engendrent un recul du trait de côte qui peut parfois dépasser les 300 m par an (PASKOFF, 2004). Ainsi, progradation et érosion semblent se compenser dans le temps.

En Martinique, la mangrove de la baie de Fort-de-France occupait dans les années 2000 une surface de 1 100 ha. Le 17 août 2007, le cyclone Dean a fortement frappé cet écosystème, entraînant des pertes considérables au niveau des peuplements végétaux. Une étude révèle des pertes de 13% pour la mangrove de bord de mer, 29% pour la mangrove arbustive, et plus de 90% pour la mangrove haute à Rhizophora et 46% pour la mangrove haute à Avicennia (IMBERT & MIGEOT, 2009).

En Guadeloupe, l’existence de certains étangs d’altitude d’origine volcanique n’est pas garantie dans le temps. Coulées de laves et éboulement créèrent de véritables cuvettes naturelles qui se remplirent peu à peu d’eau douce. Cependant, l’importance des sédiments charriés par l’érosion et la progression des formations végétales depuis les rives et les hauts-fonds condamnent ces étangs à disparaître peu à peu par comblement (PARC NATIONAL DE LA GUADELOUPE, 2017).

Sources

L’urbanisation et l’aménagement du territoire

L’urbanisation induit une artificialisation des sols qui peut être à l’origine d’une disparition totale ou partielle de la zone humide ou bien d’une modification de son fonctionnement naturel (écoulement, continuité écologique, services écosystémiques, etc.). Aussi bien sur le littoral qu’à l’intérieur des terres, certaines zones humides sont menacées par le comblement (ou remblaiement) afin d’étendre les espaces constructibles. En Guadeloupe, une étude sur l’avifaune des mares précise que certaines d’entre elles ont ainsi disparues au profit de surfaces à bâtir. En Nouvelle-Calédonie, la poldérisation qui sert l’agrandissement de zones industriels s’effectue parfois au détriment de la mangrove, même si celle-ci fait l’objet de mesures de replantation par la suite.

Actuellement, plus de 50 % de la population mondiale vit à moins de 100 km des côtes. Une telle pression démographique se traduit par une urbanisation grandissante sur le littoral. Les projets d’infrastructures liés aux transports (routes, ports, aéroports), aux résidences et aux zones industrielles et commerciales sont les principaux facteurs à l’origine de dommages irréversibles pour les zones humides littorales. L’aménagement des réseaux routiers coupe ou modifie les liaisons hydrographiques entre ces zones humides, leurs bassins versants et la mer, entrainant inévitablement la dégradation de ces écosystèmes, tandis qu’une fois remblayées, ils  constituent des espaces constructibles rapidement disponibles et à faible coût.

Source

Agriculture et aquaculture

L’agriculture et l’aquaculture, lorsqu’elles sont conduites de manière irrationnelle et non durable, sont également des pratiques qui peuvent impacter négativement les zones humides tropicales.

Dans le monde, de nombreux massifs de mangroves ont disparu au profit de la mise en place de rizières, d’exploitations agricoles, notamment pour le pâturage du bétail, et de marais salants. Les prélèvements d’eau associés à ces activités modifient souvent le régime hydrique de ces milieux, entrainant leur détérioration. Plus récemment, dans les années 1980-90, les fermes aquacoles ont également vu le jour et d’importantes surfaces de mangroves ont été déforestées et aménagées pour la mise en place d’installations dédiées à la pisciculture et à la crevetticulture, deux secteurs en pleine croissance. Lorsque ces activités sont abandonnées, les mangroves, trop endommagées, ne sont pas en mesure de se régénérer.

En Outre-mer, seule la Guyane (riziculture à Mana) et la Nouvelle-Calédonie (crevetticulture) sont concernées par ces activités. La crevetticulture constitue la 2ème source d’exportation de la Nouvelle-Calédonie. Si l’installation des fermes ne se fait pas au détriment des superficies couvertes par la mangrove, celles-ci rejettent néanmoins chaque jour les eaux des bassins où les concentrations en particules solides et en nutriments sont nuisibles aux écosystèmes adjacents.

Les zones humides naturelles peuvent également faire l’objet de prélèvement pour l’irrigation d’appoint, occasionnant ainsi une pression sur la ressource en eau.

Source
  • VANDERSARREN, GAËLLE. 2015. Menaces pesant sur les mangroves. Conservatoire du littoral, UICN France. 2 P.

Autres formes d’exploitation non durable

On entend par le terme « autres formes d’exploitation » toute activité tirant bénéfice, de manière irrationnelle, des ressources et services fournis par les zones humides. Il peut s’agir de la chasse, de la pêche, de la coupe de bois, de la fabrication de combustibles, de l’extraction de la tourbe, etc.

Ces activités peuvent être à  l’origine de prélèvements trop importants de la biomasse (individus, biomasse ligneuse, …). Cela peut participer à un déséquilibre du milieu, conduisant ainsi à un mauvais fonctionnement des écosystèmes : raréfaction voire disparition d’une espèce dite « ingénieure », mauvaise santé des individus pouvant altérer le succès de la reproduction, etc. Ces pratiques tendent à devenir néfastes lorsqu’elles sont en inadéquation avec les capacités régénératrices des milieux (utilisation non durable).

Écorçage de billes de Rhizophora pour la fabrication de charbon de bois en Asie (source : FAO)

Espèces invasives

Les invasions biologiques sont une menace pour les zones humides et pour tout type d’écosystème en général. Les espèces introduites, plus ou moins volontairement, peuvent alors se développer au dépend des autres espèces indigènes. Ce phénomène peut conduire à la disparition de certaines espèces ou à une modification du biotope. Ainsi, l’introduction de la jacinthe d’eau Eichhornia crassipes dans divers territoires d’Outre-mer, en tant que plante ornementale, a favorisé le recouvrement de certaines zones humides, fermant ainsi le milieu.

Jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes) ayant totalement recouvert un plan d’eau de la Maison de la Mangrove en Guadeloupe

Certaines activités comme l’aquariophilie constituent de formidables vecteurs d’espèces invasives. En Guadeloupe, la découverte en 2014 de l’espèce Ancistrus Triradiatus a donné lieu au lancement du programme « GUAD3E » visant sa détection et sa gestion. Les analyses génétiques ont montré que cette espèce originaire de la Colombie a été introduite de manière fortuite ou non.

Les invasions biologiques contribuent à la banalisation des écosystèmes à l’échelle mondiale.

Déchets et Pollution

D’origine anthropique ou naturelle, la pollution constitue une autre menace de poids contre les zones humides. Qu’elle soit exogène (flux externes comme les marées noires, le ruissellement, etc.) ou endogène, la pollution altère le bon fonctionnement des écosystèmes, dans la mesure où elle peut induire une perte de productivité du milieu et de ses fonctionnalités.

Dans les zones humides littorales comme les mangroves par exemple, de nombreux émissaires d’eaux usées débouchent directement en leur sein.

Dépôts d’ordures au sein de la mangrove – Baie de Genipa (Martinique)

Changement climatique et changements globaux

Les impacts du changement climatique sur les zones humides ne sont pas à ignorer. À diverses échelles, ce phénomène peut provoquer une modification du cycle de l’eau dont dépend bon nombre des milieux aquatiques : modification des régimes de précipitations, modification des températures et de l’amplitude thermique des territoires, modification de l’ensoleillement, etc. Tous ses paramètres abiotiques auront des conséquences sur les écosystèmes de zones humides car biotope et biocénose sont intimement liés.

Conséquence directe d’un changement climatique, l’eustatisme menace de disparition certaines zones humides littorales.

Tourisme

Le tourisme, même celui qui s’oriente vers la découverte et la sensibilisation de la nature, peut également constituer une menace pour les zones humides. Le passage répété de visiteurs (piétinement) peut favoriser une disparition du couvert végétal et ainsi favoriser l’érosion. Le prélèvement d’individus, comme « souvenirs », peut porter préjudice à certaines espèces. L’intégrité du site et des écosystèmes sont alors menacés. Cela peut également concerner des activités de loisirs qui induisent un dérangement de la faune et de la flore : loisirs nautiques, pêche sportive, etc. Pour pallier ces menaces, les aménagements canalisant le public et l’instauration de zonages réglementaires contribuent à trouver un équilibre entre jouissance de la nature et respect des écosystèmes. Ces derniers sont bien souvent la raison d’être de certaines activités touristiques.

 

Itinéraire de découverte de l’Etang des Salines (Martinique) : Le sentier sur pilotis et les cabanes d’observations de l’avifaune permettent de découvrir l’écosystème en limitant le dérangement et le piétinement